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Le pape de l’an 1000 et sa légende diabolique



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«  ; La Divinité a fait un présent considérable aux hommes, en leur donnant la foi et en ne leur déniant pas la science. La foi fait vivre le juste ; mais il faut y joindre la science, puisque l’on dit des sots qu’ils ne l’ont pas Â»
Gerbert, cité par François Picavet in Gerbert, un pape philosophe d’après l’histoire et d’après la légende 1897
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Lisez aussi Sylvestre II Le pâtre auvergnat devenu pape (dont cet artucle est la suite)

Ses connaissances, son esprit critique et sa collaboration avec le pouvoir impérial ont valus à sylvestre II sa réputation diabolique

Bien que son pontificat fût marqué par une stricte orthodoxie canonique, Sylvestre II, pape érudit et humaniste, peu après sa mort, fit l’objet des récits les plus fantastiques, qui construisirent durablement la légende sulfureuse d’un évêque dont le pontificat aurait été exercé sous l’influence du démon.
Grégoire V meurt le 18 février 999. Gerbert d’Aurillac est élu pape et consacré le 2 avril sous le nom de Sylvestre II (999-1003). Il fait ainsi référence à Sylvestre (314-335), premier pape sous l’empereur Constantin. Ce choix, à lui seul, révèle son ambition politique et religieuse : une Église unifiée, collaborant étroitement avec un empire lui aussi unifié, et composé d’États forts qui s’appuient sur l’Église.

Le pape Sylvestre II
Le pape Sylvestre II

La révolte de Rome

Ce projet, il le met immédiatement en chantier, commuant l’excommunication du roi de France Robert II le Pieux (996-1031) en une pénitence de sept ans 1, accordant le titre de roi aux souverains chrétiens de Pologne et de Hongrie... Il confirme également le rétablissement d’Arnoul sur le siège épiscopal de Reims et celui de Pétroald sur le siège d’abbé de Saint-Colom-ban2. Il proclame que l’un des attributs de la chaire pontificale est de « relever ceux qui sont tombés ».
Dans cette aspiration, Sylvestre II est soutenu par l’empereur germanique Otton III (983-1002) qui, partageant la « vision impériale de Gerbert », a installé sa cours ï Rome. Le pape et l’empereur président conjointement les synodes et les conciles, comme au temps de l’Empire romain, ce qui déplaît fort au peuple de Rome, et plus particulièrement à son aristocratie. En1 effet, outre les revenus de leurs terres, les aristocrates romains vivent des charges octroyées par le pape. De plus, ils veulent « diriger Rome » et toutes ses dépendances. Le pouvoir temporel du souverain pontife est donc perçu comme un obstacle, il l’est d’autant plus si le pape est un étranger. Les nobles de la Ville ambitionnent de placer l’un des leurs à la tête de la cité, un consul (ou un patrice) qui serait assisté d’un sénat composé uniquement de nobles romains. C’était déjà le projet du sénateur Théophylacte au début du IXe siècle, c’est encore celui de son descendant, Jean Crescentius, deux siècles plus tard.
De fait, la famille des comtes de Tusculum, est divisée en deux clans : le clan Crescentius, partisan de cette « République romaine » et le clan Tusculum, qui soutient l’empereur. Chacun de ces clans rassemble une partie de la noblesse romaine et, par conséquent, une partie du peuple, en raison du système de clientélisme qui était en vigueur dans la Rome antique.

Sylvestre II veut rompre avec ses prédécesseurs qui tentaient de soumettre le pouvoir temporel des souverains à leur pouvoir spirituel

Au début de 1001, une révolte éclate à Rome contre Otton III. L’empereur et le pape sont contraints de fuir. Il est probable que Jean Crescentius était l’instigateur de cette rébellion3. En effet, c’est lui qui assume ensuite l’autorité suprême à Rome, jusqu’à son décès en 1012. Après la mort de l’empereur Otton III (24 janvier 1002), il rend le titre de patrice des Romains. Svlvestre II est alors autorisé à revenir à îome, mais il doit renoncer à tout pouvoir temporel4. Cependant, pour la première fois, bien que les circonstances soient particulièrement favorables, les Romains n’ont pas mis en place d’antipape, ce qui montre bien que le recours à des antipapes répond non pas à des raisons religieuses mais à des motifs politiques.
Nous n’avons pas trouvé de chroniques récrivant en détail ce que firent le pape et 'empereur après la révolte. Il semble qu’ils restent en Italie, allant d’une résidence impériale à l’autre, continuant l’un d’administrer l’Église et l’autre l’empire. Il est certain par exemple qu’ils présidèrent conjointement un concile dans la ville de Todi (Ombrie), le 27 décembre 1001, dont l'objet était de régler un conflit entre un évêque allemand et son archevêque (in Histoire universelle de l’Église catholique, tome XIII, abbé Rohrbacher, 1842-1849). Beaucoup d’auteurs, dont l’historien et ecclésiastique René-François Rohrbacher (1789-1856), ont écrit que, pendant la révolte menée par Jean Crescentius, l’empereur et le pape n’avaient quitté Rome qu’une nuit. D’autres passent cet épisode sous silence. Notons que l’empereur, qui, en 998, avait réprimé avec une grande violence la révolte menée par le père de jean Crescentius, Crescentius le Jeune, et l’avait fait exécuter, cette fois-ci ne réagit pas. Est-ce parce que les Romains n’ont pas tenté de remplacer le pape ou parce que Gerbert a prêché la modération ? Nul ne le sait.
L’empereur fait un pèlerinage au monte Gargano (Pouilles). Il en revient affligé d’un « flux d’entrailles ». Des chroniqueurs italiens prétendent qu’il fut empoisonné par Stéphanie, la veuve de Crescentius le Jeune, qu’il aurait prise comme concubine. D’autres, favorables à l’empire, affirment que pour se soigner, il aurait pris une trop grande quantité de jus d’aloès. Toujours est-il que Otton III meurt, le 24 janvier 1002, à Paterno (Latium). Il avait environ 22 ans. Ce décès met un terme au projet commun de l’empereur et du pape, qui était de rétablir non pas l’empire d’Occident de Charlemagne mais l’Empire romain universel. Otton III étant mort sans descendance, son cousin, Henri, duc de Bavière, lui succède sur te trône d’Allemagne, le 6 juin ioo25. Gerbert lui-même s’éteint le 12 mai 1003. il semble que l’on n’ait pas de détail sur sa mort. Il fut inhumé sous le portail de la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome. Sa tombe fut ouverte en 1648, à l’occasion de travaux. Son corps, trouvé intact et revêtu des ornements pontificaux, tomba instantanément en poussière. Il ne subsista qu’une croix d’argent et l’anneau pontifical. On ne sait pas ce que ces restes sont devenus.

Sylvestre II, théologien et canoniste

Gerbert a peu publié sur la théologie, mais le peu qu’il a écrit, en particulier son De corpore et sanguine Domini (De la chair et du sang du Seigneur), est d’une rigoureuse orthodoxie. Pour lui, la théologie est la science « de Dieu et de l’homme », et puisque Dieu a accordé à l’homme la raison et la science, la théologie ne saurait se passer d’elles. C’est pourquoi sa théologie, sans pour autant rejeter Aristote, est platonicienne et pythagoricienne. Dans une lettre à Arnoul, Sylvestre II affirme : « La Divinité a fait un présent considérable aux hommes, en leur donnant la foi et en ne leur déniant pas la science. La foi fait vivre le juste ; mais il faut y joindre la science, puisque l’on dit des sots qu’ils ne l’ont pas. » (in Gerbert, un pape philosophe d’après l’histoire et d’après la légende, François Picavet, 1897).
C’est probablement la raison pour laquelle, durant son pontificat, il semble ne pas avoir enrichi l’Église de nouveaux dogmes ou éprouvé le besoin d’affirmer l’importance des anciens, tout comme il ne semble pas avoir modifié la liturgie.
En tant que canoniste, Sylvestre II fait grief à ses prédécesseurs de leur avidité et de leur ignorance, et il est vrai qu’ils n’ont manqué ni de l’une ni de l’autre. Il leur reproche aussi de s’appuyer sur de fausses décrétales6 par lesquelles les papes tentent de soumettre le pouvoir temporel des souverains à leur pouvoir spirituel (lire l’encadré ci-dessous). Selon lui, il faut « rendre à César ce qui revient à César » et laisser au roi féodal les libertés et les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses devoirs, qui sont fort lourds. Il ne faut pas chercher la subordination du spirituel au temporel, mais la collaboration des deux pouvoirs pour le plus grand bien de la société, de la religion et de l’Église.
Pour des raisons analogues, Sylvestre veut que soient respectés les droits et les libertés des évêques et des abbés, afin-que leur autorité soit incontestée dans le; limites de leurs fonctions : on a de lui également, un discours sur les devoirs des évêques où il s’élève contre la simonie (la vente des sacrements et des indulgences) qui était à l’époque la plaie de l’Église. Tout au long de son pontificat, i confirme et renforce les privilèges de nombreuses abbayes, dans le but de les protéger des abus des seigneurs laïcs comme de ceux des évêques (abus dont i avait été victime en tant qu’abbé de Bobbio).


Les Fausses Décrétales
Les Fausses Décrétâtes sont un recueil de textes canoniques dont l’auteur se cache sous le nom de Isidorus Mercator, souvent appelé « le pseudo-lsodore ». Ce recueil, qui apparut au milieu du IXe siècle, a probablement été rédigé au monastère de Corbie (près d’Amiens), dans l’archidiocèse de Reims. Censé compiler des décrétales et des décrets des papes des premiers siècles, ainsi que des textes issus de conciles, il mêle à des écrits authentiques de véritables faux ainsi que des textes interpolés. Il fut forgé, non pour renforcer le pouvoir du pape, mais pour protéger évêques et monastères des abus et des violences des seigneurs laïcs. Cependant, certains faux attribuent au pape des pouvoirs allant au-delà de ceux que lui avait accordés le concile de Nicée. Le seul ecclésiastique qui ait explicitement exprimé des doutes quant à leur authenticité avant le XVIIe siècle est Hincmar, archevêque de Reims de 845 à 882. L’argumentation de Gerbert, lui aussi archevêque de Reims, au concile de l’abbaye de Mouzon, en 995, montre que de toute évidence il ne tient pas ces textes pour authentiques.

Le père des croisades ? L’historiographie ancienne lui attribue d’avoir été le premier à avoir voulu que la chrétienté s’unisse pour lutter contre l’expansion de l’empire musulman et les exactions du calife Al-Hakim (996-1021) à Jérusalem. Ce calife menait une politique d’élimination des chrétiens de Terre sainte en général et de Jérusalem en particulier. Elle s’accompagnait de massacres, de destruction d’églises (dont le Saint-Sépulcre en 1009) et de durcissement du statut de dhimmi 7 pour les chrétiens et les juifs de Jérusalem.

Au XVIe siècle, Innocent X aurait fait ouvrir le cercueil de Sylvestre II pour s’assurer que celui-ci n’avait pas le diable comme compagnon dans sa dernière demeure

Sylvestre II aurait écrit une « lettre de l'Église de Jérusalem à l’Église universelle » (elle est datée de 999). Cette lettre est rejetée comme non authentique par les historiens modernes, en particulier à cause d’une phrase où il est question du « ravage des Lieux saints (le Saint-Sépulcre) par les infidèles » et parce qu’il n’en existe pas d’original. On ne la connaît que par une copie contenue dans le Recueil : les historiens des Gaules et de la France, oublié à l’imprimerie royale par la congrégation des Bénédictins de Saint-Maur, à partir de 1738. Les historiens pensent qu’il s’agit d’un faux concocté à l’époque des croisades pour « dynamiser les combattants ». C’est possible, car certains monastères furent de véritables « usines à faux ». Cependant, l’emploi du verbe « ravager » ne fait pas forcément allusion à la destruction totale des Lieux saints. Il peut s’agir de dommages matériels ou de pillage. Par ailleurs, peu de temps après, une expédition (dont on ne connaît pas les dates exactes), composée de Pisans, de Génois et de sujets d’un roi d’Arles, prit la mer et alla débarquer sur les côtes syriennes. Elle y aurait causé quelques dommages, mais sans véritablement s’avancer dans ce pays. Beaucoup d’historiens doutent également de la réalité de cette expédition. Néanmoins, et jusqu’au XIXe siècle, Sylvestre II est resté, pour certains historiens catholiques, « le premier qui donna e signal pour la lutte armée de la chrétienté entière contre l’empire de Mahomet et de Hakem » (in Histoire universelle de l’Église catholique, abbé Rohrbacher, 1842-1849).

Le pape du diable

Au IXe siècle, pour les ignorants, tout ce qu’ils ne comprennent pas est œuvre du diable. De même, tout ce qui vient des musulmans, comme les chiffres arabes, est forcément inspiré par le démon. Or, avant d’être élu pape, le moine Gerbert fut un érudit réputé pour ses connaissances et ses recherches scientifiques, notamment dans le domaine des mathématiques (lire notre article dans L’HISTOIRE DES PAPES & DES SAINTS n° 2, février 2009). La légende du « Gerbert sorcier » est certainement née pendant son abbatiat à Bobbio. On sait que les aristocrates italiens avaient voulu se débarrasser de lui par la calomnie.
Plus tard, il fut rapporté que Gerbert avait une « tête parlante en bronze », un automate qui répondait aux questions en « hochant la tête ». La même légende fut répandue, les siècles suivants, à propos de saint Albert le Grand, de saint Thomas d’Aquin ou de Henri-Corneille Agrippa... Nul doute qu’il s’agisse là d’affabulations. En revanche, ces grands érudits, qui ont lu toutes les œuvres des Anciens disponibles à leur époque, ont une notion précise de ce qu’est la magie, ils en connaissent parfaitement les principes, comme ils connaissent tous les arguments développés en faveur ou à l’encontre de cet art par les auteurs antiques...
Toujours est-il qu’après sa mort, des légendes tenaces firent de Sylvestre II un alchimiste, voire un sorcier qui avait commerce avec le malin. Ainsi, certains auteurs prétendent qu’en 1648, six siècles après sa disparition, Innocent X (1644-1655) fit ouvrir son cercueil afin de s’assurer que notre pape auvergnat n’avait pas le diable comme compagnon dans sa dernière demeure8.

Les protestants s’emparent des récits fantastiques sur Gerbert pour démontrer l’indignité des souverains pontifes

De fait, les calomnies qui avaient été répandues de son vivant n’avaient guère été écoutées en raison de l’admiration générale de ses contemporains... Mais, pour ceux qui ne l’ont pas connu, Gerbert, parti de rien et mort pape, est une sorte d’extraterrestre. Pour les hommes du Moyen Âge, sa réussite est inexplicable, voire impossible. Son savoir même est suspect9, surtout aux ignorants. Ces derniers attribueront l’une et l’autre à l’aide du Malin. Dès lors, le personnage de Sylvestre II, peu de temps après sa mort, se prête aux récits les plus sulfureux.

La rumeur alimente les chroniques

Quelques-uns sont rapportés par l’écrivain et philosophe François Picavet (1851-1921) dans Gerbert, un pape philosophe d’après l’histoire et d’après la légende (1897). Dès 1080, Bennon, cardinal de l’antipape Guibert de Ravenne (Clément III, 1080-1100), relate que « Gerbert avait un démon particulier qui lui avait livré le Saint-Siège », et que lui ayant demandé quand il mourrait, le démon lui avait répondu « pas avant d’avoir célébré la messe à Jérusalem ». Bennon conclut que Gerbert croyait encore avoir longtemps à vivre quand, officiant à l’église Sainte-Croix-de-Jérusalem, à Rome, il s’aperçut soudain que la prédiction était accomplie...
Sigebert (v. 1030-1112), moine de Gem-bloux, écrira que certains prétendent qu'il || mourut assommé par le diable, mais il termine en exprimant des doutes sur la réalité d’une telle mort. L’historien Orderic Vital (v. 1075-v. 1143), moine de Saint-Évroult (Normandie), est tout aussi circonspect lorsqu’il rapporte que le diable fit une prédiction au futur pontife « Gerbert passe de R en R puis brille comme pape à R. »10) Les chroniqueurs restent prudents et multiplient les « certains prétendent » et autres « on raconte que », montrant ainsi que s’ils tiennent la rumeur pour une information, ils ne la considèrent pas pour autant comme un fait authentique.
Il n’en est pas de même du très productif Guillaume de Malmesbury (v. 1090-v. 1143), également cité par Picavet. Avec lui, la rumeur devient « fait historique ». Le chroniqueur bénédictin affirme que dès que Gerbert connut le « bivium de Pythagore » (l’arithmétique et la géométrie), ennuyé par la vie monastique, il s’enfuit en Espagne pour étudier, chez les Sarrasins, l’astrologie et autres sciences de cette nature. Qu’il apprit avec eux à interpréter le chant et le vol des oiseaux'11 ainsi que l’art d’évoquer les ombres des morts. En Espagne, poursuit Malmesbury, Gerbert vit chez un philosophe musulman. Il lui achète tous les livres de sa bibliothèque, sauf un que le musulman cachait sous son traversin. Ce livre « contenait tout ce que l’on peut savoir ». Gerbert séduit alors la fille du Sarrasin, puis, en accord avec elle, enivre son père, vole le livre et s’enfuit. Le Sarrasin le poursuit, en interrogeant les astres12. Mais Gerbert a conscience du danger, il se suspend à une poutre sous un pont, de manière à ne toucher ni l’eau ni la terre, ce qui désoriente son poursuivant. Il atteint la mer, appelle le diable par magie et lui jure un hommage éternel s’il lui permet d’échapper à son ennemi...
Mais le meilleur chez ce bon moine, c’est la digression qu’il s’autorise au milieu de l’histoire de Gerbert. Il écrit : « On pourrait croire que ce sont là des inventions du peuple, parce qu’il se plaît à attaquer la réputation des savants et accuse de s’entretenir avec le diable celui qui excelle dans son art [...]. Pour moi, le récit extraordinaire de la mort de Gerbert ne me laisse aucun doute sur son sacrilège. » Et de citer sa « source » : « Dans un vieux volume, qui est tombé entre mes mains et où l’on avait mis tous les noms des papes avec les années de leur règne, j’ai lu ces mots : jean ou Gerbert, dix mois ; celui-ci a terminé honteusement sa vie. »
Les légendes deviennent vérités historiques Pour autant, Guillaume de Malmesbury n’en a pas terminé avec ce pape maléfique. Il nous raconte sa découverte d’un trésor « « autrefois caché par les gentils » en pleine ville de Rome : un palais tout en or enterré sous le champ de Mars. À midi, l’ombre du doigt d’une statue indiquait remplacement où il fallait creuser. Mais le trésor est diabolique, le palais est peuplé de statues d’or immobiles mais paraissant prêtes à bouger. Le serviteur de Gerbert vole un couteau posé sur une table. Aussitôt, une statue d’enfant tenant un arc à ta main tire une flèche dans l’escarboucle (une pierre précieuse) qui éclaire le palais et, explique le narrateur, Gerbert et son domestique eussent été tués si ce dernier n’avait par inspiration divine lâché son larcin...
Le bénédictin reprend également la légende de la tête de cuivre, puis raconte l'oracle de « la messe à Jérusalem », et la stupéfaction de Gerbert quand celui-ci réalise que l’oracle est accompli. Il aurait « longuement pleuré ses crimes », et donné l’ordre que « son corps soit haché, que les lambeaux soient jetés hors du palais. » Pour ceux qui savent décrypter, Malmesbury fait savoir à son lecteur que tout ceci est une légende. En effet, pour affirmer que Sylvestre II fut « sacrilège », il s’appuie sur te récit de la mort du pape, récit qu’il présente par la suite comme hypothétique en l’introduisant par ces termes : « La renommée a publié... » Par ailleurs, son évocation contient des erreurs grossières. Il affirme que Gerbert fut élevé au monastère de Fleury-sur-Loire (au lieu de Saint-Géraud), lui assigne un règne de dix mois (il a régné quatre ans). Peu importe, sa légende comporte tous les éléments pour devenir, à l’époque, ce que nous appelons aujourd’hui « un best-seller ». Les conteurs et les chroniqueurs vont s’en emparer, en rectifier les erreurs volontaires13 et reprendre le récit de Guillaume de Malmesbury, parfois en l’enjolivant. Au XIIIe siècle, la légende est devenue une « vérité historique ». Au XVIe siècle, les protestants s’en emparent à leur tour, l’occasion est trop belle d’ajouter un nom odieux à la liste des personnages qui leur sert à démontrer l’indignité des souverains pontifes...





  • (1) Robert le Pieux, qui a répudié Suzanne (ou Rozala) en 992, épouse Berthe de Bourgogne (sa cousine au troisième degré) vers la fin de l’année 996. Ce mariage est illégal du point de vue du droit canon. Ils sont mariés par Archambaud de Sully, archevêque de Tour (981-1008).
    Normalement, Grégoire V aurait dû les excommunier. La plupart des historiens pensent que la bulle d’excommunication n’a jamais été promulguée, mais la menace fut bien réelle.
  • (2) Ce sont là des mesures d’apaisement. Arnoul fut destitué et emprisonné par Hugues Capet (987-996) pour trahison.
    Le roi décida que Gerbert lui succéderait sur le siège épiscopal de Reims. Cette décision fut refusée par Jean XV (985-996) qui menaça Gerbert d’excommunication. Robert il rendit ce siège à Arnoul pour s’attirer les bonnes grâces de Grégoire V. Quant à Pétroald, il fut le prédécesseur de Gerbert en tant qu’abbé de Bobbio et avait été destitué par Otton III. Gerbert, qui lui avait succédé, lui rend officiellement son siège.
  • (3) Les péripéties de cette révolte sont peu documentées. Elles sont par exemple ignorées d’un ouvrage de référence tel que Histoire des républiques italiennes du Moyen Âge de Simonde De Sismondi (1807-1818).
  • (4) Il en sera de même de ses successeurs, Jean XVII (1003), Jean XVIII (1003-1009) et Serge IV (1009-1012), qui devront leur élection à l’influence de Jean Crescentius. Lire, à ce propos l’article sur l’an mil L’Église et le monde en l’an 1000
  • (5) Henri II le Saint (973-1024), roi de Germanie à partir de 1002, est couronné empereur à Rome en 1014 par Benoît VIII (1012-1024). Fondateur de l’évêché souverain de Bamberg (Bavière) en 1007, il est canonisé en 1146 (date donnée par les bénédictins de Ramsgate in Dix Mille Saints. Dictionnaire hagiographique, éd. Brepols, 1991).
  • (6) Une décrétale est une lettre par laquelle le pape édicté une règle disciplinaire ou canonique, après en avoir été saisi par un tiers, contrairement au décret pontifical, édicté par le pape de son propre chef.
  • (7) Statut discriminatoire s’appliquant en terre d’Islam aux « religions protégées » (christianisme et judaïsme). Il implique le paiement d’un impôt supplémentaire, interdit l’accès à certains postes et certaines professions, impose le port de « signes distinctifs », interdit à ces religions toute forme de prosélytisme, mais garantit (en principe) la liberté de culte. Voir à ce propos l'article : L’Église et le monde en l’an 1000
  • (8) Une légende auvergnate lui prête également un pacte avec le diable qu’il aurait signé alors qu’il était oblat à Saint-Géraud (Cantal)...
  • (9) Parmi les facteurs qui contribuent à créer la légende sulfureuse de Gerbert, il y a la forte hostilité de certains clercs des XI-XII* siècles pour les mathématiques. Le théologien Abélard (1079-1142) écrit à ce propos : « Cette science dont l’exercice est odieux, et qui se nomme la mathématique, ne doit pas être réputée mauvaise car il n’y a pas de crime à savoir au prix de quels hommages et de quelles immolations, les démons accomplissent nos vÅ“ux ; le crime est d’y recourir. » Cité par François Picavet, in Gerbert, un pape philosophe d’après l’histoire et la légende, 1897.
  • (10) Prédiction qui s’interprète ainsi : « Gerbert passa, du siège de Reims à celui de Ravenne, puis devint souverain pontife à Rome. »
  • (11) Ces deux techniques de divination étaient presque aussi courantes chez les païens (et probablement moins coûteuses) que l’examen du foie des animaux sacrifiés aux dieux.
  • (12) Il y a au moins une chose de vraie dans cette légende : la recherche du voleur et de l’objet volé est un exercice classique en astrologie horaire. Cette technique, ne nécessitant de connaître pour les calculs que le lieu, le jour et l’heure de la découverte du larcin, était bien plus pratiquée au Moyen Âge qu’aujourd’hui. La rédaction de la revue m'avait demandé de résumer ici dans un encadré la position de de l'Église voir : L’Église et l’astrologie
  • (13) Un passage le prouve : Malmesbury cite la lettre qu’Adalbolde, futur évêque d’Utrecht, avait écrite à Gerbert sur la question du diamètre d’après Macrobe. Il était donc fort bien documenté.







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